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Le musée national Eugène Delacroix, à Saint Germain des Prés

Collections permanentes

Dans le quartier de Saint Germain des Prés, le dernier atelier d’Eugène Delacroix (1798-1863), situé rue de Furstenberg, a été rapidement pris en charge par la Société des Amis d’Eugène Delacroix puis a été transformé en 1971 en musée national consacré au thuriféraire de la couleur. Le peintre est le plus souvent connu pour ses toiles exposées au musée du Louvre, qui font de lui l’apôtre du romantisme, qualificatif qu’il n’apprécie que modérément. Le musée national présente l’intérêt de montrer le visage d’un autre Delacroix, un Delacroix qui aime à peindre des figures religieuses, dans un 19ème siècle spirituellement changeant.


Entrée du musée - 8.7 ko
Entrée du musée

L’appartement est habité par le peintre à partir de 1857 : il fait immédiatement construire dans le jardin son atelier, relié à l’appartement par un escalier de fer. Le peintre, malade, cherche à se rapprocher de son grand chantier de Saint Sulpice : c’est dans cette habitation qu’en 1863, sa fidèle servante Jenny Le Guillou recueille son dernier soupir. Il ne reste malheureusement que très peu de choses de l’âme de Delacroix dans ce petit appartement, dont on connait le mobilier par l’inventaire dressé à la mort du peintre. Le musée se compose d’une antichambre, d’un salon, d’une bibliothèque et d’une chambre à coucher, pièces dont les murs sont couverts de quelques toiles de dimensions modestes ; des vitrines protègent un petit nombre de dessins et un nombre interminable de portraits de Delacroix. L’atelier est garni de la même façon : quelques articles de presse savoureux, les palettes de Delacroix, quelques toiles.

Atelier vu du jardin - 30.7 ko
Atelier vu du jardin

Les lieux pêchent par leur vacuité due au petit nombre d’œuvres exposées et à leur manque de mise en valeur. Le Louvre semble contenir les grandes œuvres de Delacroix et ce musée ne contenir que des oeuvres mineures. Et pourtant, les oeuvres exposées sont dignes d’intérêt, même si certaines sont loin de faire partie des meilleures du peintre. Il faut en réalité, voir le musée pour ce qu’il montre de l’artiste. Loin de la Barque de Dante, de La Liberté guidant le Peuple et autres œuvres magistrales du peintre, l’esprit est libre de découvrir l’intimité de Delacroix. Celui-ci n’est plus cet homme du monde, ce dandy qui fréquente les salons ; c’est au contraire un Delacroix plus replié sur lui même que le musée met en avant. Ce musée est particulièrement bien situé dans l’atelier de la rue de Furstenberg. En effet, l’artiste, âgée d’une soixantaine d’années, emménage dans cet appartement : il décide alors de se soustraire à l’agitation d’une vie mondaine qui ne lui permet plus de mener à bien son travail. Les œuvres exposées peuvent faire l’objet d’un rapide classement -qui ne sera pas exhaustif. D’une part, parmi les œuvres réalisées par Delacroix, le musée présente des toiles à sujet religieux (Madeleine dans le désert, L’Éducation de la Vierge, la Vierge au Sacré-Coeur) et des œuvres représentant des proches (parents d’Eugène Delacroix, Jenny Le Guillou, la fille de Jenny le Guillou). D’autre part, des œuvres ayant pour sujet Delacroix habitent les lieux : des autoportraits (dessins, Autoportrait de Ravenswood), des portraits (sculptures, dessins, portraits, photographies, gravures) et des éléments se rapportant à la vie du peintre (livres sur Delacroix, articles de presse, objets utilisés pour son activité de peintre, comme ses pinceaux, ses palettes). Tout ceci n’est que très normal puisque le musée est consacré non pas au peintre mais à l’homme

Delacroix et la religion

Raphaël, La Belle Jardinière, 1508, Musée du Louvre - 18.3 ko
Raphaël, La Belle Jardinière, 1508, Musée du Louvre

Le musée présente peu de tableaux signés de la main de l’artiste. Il permet même d’observer une copie de la Mort de Sardanapale, l’original, scandaleusement exposé au Salon de 1827, étant accroché au Louvre, salle Mollien. Parmi les œuvres originales présentées, les œuvres à personnages religieux sont récurrentes. Delacroix serait-il un peintre de religion ? Baudelaire avait ainsi écrit, à propos du Salon de 1846 qu’ "E. Delacroix est universel ; il a fait des tableaux de genre pleins d’intimité, des tableaux d’histoire pleins de grandeur. Lui seul, peut-être, dans notre siècle incrédule, a conçu des tableaux de religion qui n’étaient ni vides et froids comme des œuvres de concours, ni pédants, mystiques ou néo-chrétiens, comme ceux de tous ces philosophes de l’art qui font de la religion une science d’archaïsme, et croient nécessaire de posséder avant tout la symbolique et le traditions primitives pour remuer et faire chanter la corde religieuse" (...) "Mais pour expliquer ce que j’affirmais tout à l’heure, - que Delacroix seul sait faire de la religion, - je ferai remarquer à l’observateur que, si ses tableaux les plus intéressants sont presque toujours ceux dont il choisit les sujets, c’est-à-dire ceux de fantaisie, - néanmoins la tristesse sérieuse de son talent convient parfaitement à notre religion, religion profondément triste, religion de la douleur universelle, et qui, à cause de sa catholicité même, laisse une pleine liberté à l’individu et ne demande pas mieux que d’être célébrée dans le langage de chacun, - s’il connaît la douleur et s’il est peintre.".

Eugène Delacroix, Vierge des Moissons, 1819, Paris, Musée Delacroix - 13.3 ko
Eugène Delacroix, Vierge des Moissons, 1819, Paris, Musée Delacroix

Si Delacroix n’est pas, comme son Journal l’indique avec évidence un peintre mystique, il est un peintre que le sujet religieux a servi et qui a su servir la religion. En 1819, Delacroix est un orphelin désargenté, élève à l’Ecole des Beaux Arts. Son père meurt en 1805 et sa mère en 1814. Ainsi, le jeune peintre, âgé d’une vingtaine d’années reçoit sa première commande comme une nécessité financière. Cette première commande porte sur une Vierge, destinée à l’église d’Orcemont (78). Delacroix crée alors une Vierge des Moissons, largement inspirée de la Belle Jardinière (Raphaël) du Louvre : composition pyramidale et dynamique, position de l’enfant Jésus identique - corps appuyé jambes croisées. Et l’iconographie champêtre (les moissons) s’explique par la qualité du commanditaire : un riche propriétaire terrien. L’année d’après, l’occasion se représente. En 1820, Géricault, élève comme Delacroix de Guérin, reçoit une commande : une Vierge du Sacré Coeur, destinée à un couvent ou à une église nantaise. Connaissant la situation financière de Delacroix, Géricault propose à ce dernier de réaliser le tableau, en restant proche de son style pictural. Delacroix réalise alors son deuxième sujet sur commande, qui est comme le premier, un sujet religieux. Cette Vierge fut assez mal reçue par le commanditaire, d’aucuns s’accordent pour dire de ce tableau qu’il n’est pas le plus habile du peintre, et le tableau, dont une esquisse est exposée au Musée Eugène Delacroix, partit pour la Cathédrale d’Ajaccio, où il est toujours visible. Deux ans plus tard, Delacroix expose pour la première fois au Salon (1822) sa Barque de Dante et une décennie romantique s’ouvre dans l’oeuvre de Delacroix, marquée par ses Massacres de Scio (1824), par sa Mort de Sardanapale (1827) et par sa Liberté guidant le peuple (1831). A partir de cette période, d’importantes commandes étatiques assureront un revenu au peintre.

Eugène Delacroix, Vierge au Sacré Cœur (esquisse), 1820, Paris, Musée Delacroix. - 16.6 ko
Eugène Delacroix, Vierge au Sacré Cœur (esquisse), 1820, Paris, Musée Delacroix.

Delacroix, peintre de religion ? Ces deux premières commandes montrent que Delacroix s’est frotté, avec plus ou moins d’habileté et de succès au sujet religieux. Les œuvres à sujet religieux sont loin de constituer des œuvres de jeunesse : le thème religieux occupa le pinceau de Delacroix jusqu’à sa mort, jusqu’à son ultime chantier de la chapelle des Saint-Anges de l’église Saint-Sulpice à Paris, qu’il commence en 1849 et achève en 1861, deux ans avant sa mort. Pour cette chapelle, il choisit de représenter L’archange Saint-Michel terrassant le démon, Héliodore chassé du temple et, considérée par les historiens comme son testament spirituel, La lutte de Jacob et de l’ange. En réalité, il est bien difficile de se faire en un coup d’œil une idée de l’importance du sujet religieux chez Delacroix pour deux raisons. D’une part, les commandes sur ce thème faites au peintre portaient, pour nombre d’entre elles, sur des décors muraux. Ainsi, en 1824, la ville de Paris commande un Christ au jardin des Oliviers destiné à l’église Saint-Paul-Saint-Louis, toujours visible in situ (Paris). En 1840, Delacroix reçoit la commande d’une peinture pour l’église Saint-Denis-du-Saint-Sacrement et il décide de réaliser une Pietà. D’autre part, beaucoup d’œuvres de Delacroix à thème religieux appartiennent à des collections étrangères et sont donc peu visibles en France. Ainsi, le Christ dormant durant la Tempête, sur la lac de Gennezareth appartient au Metropolitain Museum (New York), un Christ en croix est au Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam et un Christ au Roseau est au Fine Arts Museum de San Francisco.

Deux œuvres clés du musée

Malgré cette dispersion des œuvres à thème religieux, le Musée Eugène Delacroix détient deux œuvres majeures, dont une (L’Éducation de la Vierge) récemment entrée dans les collections. Il s’agit d’une part d’une Éducation de la Vierge datant de 1842, dont le thème fut repris, dix ans plus tard (1853) dans un format plus petit, qui se trouve aujourd’hui au National Museum of Western Art de Tokyo, et d’autre part de la fameuse Madeleine au désert, exposée au Salon de 1845 puis à l’Exposition Universelle de 1855, qui constitue la pierre angulaire du musée.

Eugène Delacroix, L’Éducation de la Vierge, 1842, Paris, Musée Delacroix - 11.4 ko
Eugène Delacroix, L’Éducation de la Vierge, 1842, Paris, Musée Delacroix

L’Éducation de la Vierge fut exécutée lors du premier séjour de Delacroix à Nohant, chez George Sand en 1842. Delacroix relate ainsi à la romancière "je viens de voir en rentrant dans le parc un motif de tableau superbe, une scène qui m’a beaucoup touché. C’était votre fermière, avec sa petite fille. J’ai pu les regarder tout à mon aise derrière un buisson où elles ne me voyaient pas. Toutes deux étaient assises sur un tronc d’arbre. La vieille avait une main posée sur l’épaule de l’enfant qui apprenait attentivement une leçon de lecture". Ce tableau, à la composition simple et monumentale, centrée sur la figure de Sainte Anne et de la Vierge, fut présenté au jury du Salon de 1845. Ce dernier le refusa, ce qui ne manqua pas d’émouvoir le critique Théophile Gautier. Celui-ci, dans un article du 11 mars 1845, soulignait ainsi "Ils ont refusé à Delacroix l’ "Éducation de la Vierge" et une "Madeleine" ; (...) Cela n’est-il pas manquer à la décence publique, insulter au bon sens général, donner un ridicule à la France ? - Comment ! vous refusez d’admettre un tableau de M. Eugène Delacroix ! D’où sortez-vous ? où passez-vous votre vie, pour être si étrangers à tout ce qui s’est fait depuis vingt ans ? - Vous ne respirez donc pas l’air qui remplit nos poumons ? - Quelque sorcier malfaisant vous a donc tenus prisonniers dans une bouteille de verre, au fond de quelque laboratoire poudreux et rempli de toiles d’araignée ? - On ne peut expliquer autrement l’absurdité d’un semblable refus (...) Cette "Éducation de la Vierge", cette "Madeleine", honorées de vos boules noires, seront suspendues au plus beau jour, parmi les chefs-d’œuvre, pour servir de modèle aux jeunes peintres de l’avenir. - Si M. Eugène Delacroix daignait vous donner des leçons, vous devriez vous estimer trop heureux de les recevoir, bien loin de vous arroger le droit de porter un jugement sur une de ses toiles. " Après la mort de Delacroix (1863), George Sand, désargentée, réussit à obtenir de la vente du tableau un prix satisfaisant. L’Éducation de la Vierge passa entre autre dans les mains de Maurice Genevois, avant d’être récemment acquise par le musée Delacroix. En 1853, Delacroix avait repris dans un traitement très proche le thème de l’éducation de la Vierge, dans une composition plus étroite, toujours centrée sur Sainte Anne et la Vierge. Dans cette seconde composition, le paysage bénéficiait d’une plus grande place et un chien était assis devant Sainte Anne et la Vierge, vêtues quelque peu différemment. Les deux toiles ont en commun de présenter un traitement libre du thème de l’éducation de la Vierge Marie par sa mère, sainte Anne. Delacroix ne fait pas de la religion pour le religieux : il magnifie la religion comme il magnifie l’histoire, attentif au chant des couleurs, étranger à tout traitement édifiant du thème religieux.

Eugène Delacroix, Madeleine au désert, 1845, Paris, Musée Delacroix - 10.5 ko
Eugène Delacroix, Madeleine au désert, 1845, Paris, Musée Delacroix

La Madeleine au désert offre la même liberté de traitement : un traitement personnel, qui ne s’embarrasse pas de la lettre des Écritures et des œuvres de ces prédecesseurs, ce qui a fait dire à Théophile Gautier "La "Madeleine dans le Désert", ce sujet tant de fois traité, fait voir que rien n’est usé pour le talent, et que le vieux est toujours neuf". Il faut encore ici rapporter les écrits de Baudelaire sur le Salon de 1845, qui subliment l’œuvre. "C’est une tête de femme renversée dans un cadre très étroit. A droite dans le haut, un petit bout de ciel ou de rocher -quelque chose de bleu ; -les yeux de la Madeleine sont fermés, la bouche est molle et languissant, les cheveux épars. Nul, à moins de la voir, ne peut imaginer ce que l’artiste a mis de poésie intime, mystérieuse et romantique dans cette simple tête. Elle est peinte presque par hachures comme beaucoup de peintures de M. Delacroix ; les tons, loin d’être éclatants ou intenses, sont très doux et très modérés ; l’aspect est presque gris, mais d’une harmonie parfaite. Ce tableau nous démontre une vérité soupçonnée depuis longtemps et plus claire encore (...) ; c’est que M. Delacroix est plus fort que jamais, et dans une voie de progrès sans cesse renaissante, c’est-à-dire qu’il est plus que jamais harmoniste.". Et dans ses écrits relatifs à l’Exposition Universelle de 1855, le poète ajoute "Voici la fameuse tête de la Madeleine renversée, au sourire bizarre et mystérieux, et si surnaturellement belle qu’on ne sait si elle est auréolée par la mort, ou embellie par les pâmoisons de l’amour divin ". En quelques mots, Baudelaire traduit ce qui dans cette Madeleine scandalisa et ce qui fait de cette Madeleine le syncrétisme de l’oeuvre religieuse de Delacroix.

par Aurore Rubio
Article mis en ligne le 16 mai 2005

Informations pratiques :
 artiste : Eugène Delacroix
 lieu : Musée National Eugène Delacroix, 6 rue de Furstenberg, 75 006 PARIS. (métro Saint Germain des Prés)
 horaires : tous les jours 9h30 - 17h00, sauf le mardi. (fermé 1er janvier, 1er mai et 25 décembre)
 tarifs : plein tarif : 5euros
 renseignement : site Internet du musée et 01.44.41.86.50

Pour aller plus loin sur Internet :
 L’oeuvre de Delacroix vue par Baudelaire
 Visite en ligne de l’exposition de Delacroix à Renoir, l’Algérie des peintres
 Le dossier Delacroix de l’Encyclopédie de l’Agora

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