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À la belle époque des fauves

Exposition au Musée Fournaise à Chatou du 30 avril au 30 octobre 2005

Les célébrations de "naissance" d’un mouvement permettent d’offrir au public des séries d’expositions, plus ou moins pertinentes, confrontant les tenants et les aboutissants de ce mouvement. Ainsi, le centenaire du fauvisme est l’occasion pour le musée Fournaise de se repencher sur le salon d’automne de 1905, où quelques jeunes gens aux pinceaux hauts en couleurs élaborèrent tout simplement la première avant-garde artistique du 20ème siècle... Vision audacieuse, mais quelque peu chaotique.


Voyage en fauvisme

Rien d’étonnant si ce petit musée, situé sur une île à Chatou où Renoir peignit son Déjeuner des canotiers, s’intéresse à la destinée fauve : après avoir fait la joie des impressionnistes, le restaurant de la famille Fournaise voisine avec l’atelier de Vlaminck et Derain, deux peintres se ralliant à la couleur libre dès le début des années 1900. Ces conditions privilégiées ne sont pourtant pas si propices à une muséographie claire et didactique : ce titre même, À la belle époque des fauves, et son sous-titre Histoires du Salon d’Automne, n’explicitent pas le propos de l’exposition. S’agit-il de présenter le fauvisme comme mouvement pictural ? Comme style particulièrement remarqué dans les salons d’automne au début du 20ème siècle ? Comme reflet d’une époque et ses ambiances sociales et artistiques ? La multiplicité des sens de lecture joue là en la défaveur de la pédagogie adéquate en matière d’exposition.

Nébuleux fauvisme ! Mouvement éphémère, passage bref de l’oeuvre de nombreux artistes... L’exposition catovienne n’aide guère à mieux comprendre : conçue tantôt comme une évocation spatiale et contextuelle du fameux salon de 1905, tantôt comme une approche des fauves ou apparentés méconnus, l’ensemble ne parvient pas à proposer une chronologie appréciable (en guise de repères, certes artificiels), encore moins à finalement définir le fauvisme si ce n’est en avant-garde. Heureusement, les textes sur le salon d’automne rattrapent cette cruelle carence.

Après avoir lorgné sur les audaces en ocre d’Othon Friesz et une toile d’un Braque de 15 ans hésitant entre Corot et l’impressionnisme, on comprendra en effet que le salon d’automne se veut, dès sa création en 1903, un salon par et pour les artistes, à l’image de ses fondateurs, membres du jury et participants. Née dans la mouvance des salons réagissant à ceux officiels, cette manifestation se déroule à un moment opportun de l’année, quand les jeunes représentants de l’avant-garde viennent de terminer leurs oeuvres estivales réalisées en plein air. Ces présentations faites, la disposition muséographique de cette salle est peu explicite : deux oeuvres remarquées en 1905, le fameux Buste d’enfant d’Albert Marque (une sculpture tout en douceur, admirée pour la grâce de son style inspiré de l’art florentin du 15ème siècle), trônant judicieusement comme "Donatello chez les fauves" (remarque de Louis Vauxcelles, critique d’art, suite à sa visite du salon d’automne de 1905, de laquelle découle ce nom de fauvisme) en face d’une reproduction de La Femme au chapeau vert de Matisse décriée car trop audacieuse et même anti-naturelle dans sa couleur comme son dessin, sont aussi entourées de tableaux fauves dont la plupart furent peints avant ou après 1905 ! Quelle logique de présentation ? La polymorphe avant-garde s’exprime par le coloris bigarré de Van dongen ou la touche forcément à la Van Gogh de Vlaminck, mais pourquoi ne pas avoir respecté l’idée initiale de reconstitution ? D’autant que les pages du Journal de l’illustration, présentées ici même, montrent sans équivoque les oeuvres effectivement remarquées en 1905. Pire encore, quelques marches plus bas : une reproduction d’une œuvre du Douanier Rousseau, acolyte des frasques fauvistes, est entourée de tableaux plus ou moins fauves dont on ne sait guère s’ils furent jamais présentés à un salon !

Henri Matisse, La Femme au chapeau vert, 1905, huile sur toile, 80 x 65 cm, San Francisco, Museum of Modern Art - 19 ko
Henri Matisse, La Femme au chapeau vert, 1905, huile sur toile, 80 x 65 cm, San Francisco, Museum of Modern Art

N’allons pas pour autant suggérer que tout soit illogisme et contradiction : on découvre avec bonheur la céramique fauve, développée par le céramiste André Metthey quant aux formes puis décorée notamment par les peintres Friesz ou Rouault. Production qui demeurera un échec commercial, ne faisant la joie que de grands collectionneurs friands d’art moderne, notamment Gertrud Stein, femme de lettres américaine et amie de Picasso, ou Kahnweiller, galeriste promoteur d’artistes cubistes. Metthey se rattrapera avec sa production personnelle, les quelques pièces exposées s’inpirant notamment de la somptueuse céramique islamique, dont les camaïeux de bleus et de verts n’en sont pas moins redevables à certaines expériences fauves.

Derrière cette appellation presque agressive, le fauvisme cherche aussi à reprendre les grands thèmes classiques, tel Le Repos (du peu connu Jean Puy) présentant sur un espace plat les formes androgynes du marbre antique de l’Hermaphrodite Borghèse devant un fond brossé de rouges. L’aussi oublié Pierre Girieud revisite lui la piété populaire, à laquelle il applique l’éclat solaire et vibrant de Van Gogh.

Après une telle présentation de l’art moderne, la dernière salle veut rendre compte de la relativité du fauvisme. Ainsi, deux artistes d’un certain âge en 1905 persévèrent dans leur art sans scandales : Eugène Carrière, président d’honneur du salon d’automne en 1903 et défenseur de la jeune avant-garde, reste fidèle à ses portraits monochromes qui précèdent pourtant de peu la période bleue de Picasso et son usage arbitraire de la couleur ; tandis que l’impressionniste Guillaumin, président du jury de la section peinture en 1905, évoque le tournant pris par la couleur à ce salon d’automne : son Autoportrait illustre brillamment la décomposition picturale de la lumière, procédé impressionniste aux tons ici presque fauves.

Le fauvisme inspire, enthousiasme, contamine, exaspère et très vite meurt. À la veille de la 1ère guerre mondiale, La Femme au chapeau d’Auguste Chabaude dresse un bilan ambïgu des avant-gardes en 1912 (année d’ailleurs fondatrice de l’abstraction...) : la pose nonchalante et bourgeoise ou même la tentation du monochrome évoquant les femmes d’Ingres, et l’expression d’"inquiétante étrangeté" du modèle qui pourrait découler d’un Géricault sont évidemment issues de l’art du XIXème siècle ; mais la touche nerveuse et discontinue, et surtout l’effacement du nez pour opposer l’ombre et la lumière du visage déjà utilisé par Matisse dans son Portrait de Madame Matisse (La raie verte) (daté de 1905 et conservé au Statens Museum for Kunst de Copenhague), ainsi que ce graphisme peu ou prou regardeur du cubisme indiquent une relative adhésion aux nouveaux canons de l’art. Étonnant paradoxe : dans leur souci de rupture des formules des siècles passés, les avant-gardes entre 1905 et 1914 font ressurgir les vieux débats du dessin et de la couleur !

Délectation ou éducation ?

Passé comme une étoile filante dans les cieux des révolutions artistiques du vingtième siècle, le fauvisme n’a pourtant laissé personne indifférent en 1905, qu’il s’agisse du public ou des critiques d’art, et surtout des artistes. De nos jours reconnu, l’art de Matisse et ses comparses fait la joie du grand public dans l’exposition ponctuelle de leurs oeuvres. D’autant que le cadre idyllique de la maison Fournaise, symbole des plaisirs bourgeois portant déjà en germe la société des loisirs, est un cadre agréable pour prendre plaisir au festival de couleurs.

Soit. Mais là où le bât blesse, c’est qu’une exposition, dans sa muséographie, ne se résume pas à une simple succession d’oeuvres sur des cimaises ou dans des vitrines. Et encore moins, dans les textes, à tenter au mieux de mettre un artiste dans une "case" stylistique. Car le visiteur intellectuellement plus actif que le quidam ne cherchant qu’à voir des beaux tableaux, ressentira le malaise de ne pas saisir la logique adoptée par le concepteur de cette exposition : chercher à donner un cadre précis, surtout stylistique et chronologique, au fauvisme, ou au contraire tenter de démontrer les dangers d’une telle démarche en présentant le caractère contraignant et abstrait d’une classification ? Peut-être fauve, peut-être pas fauve... Si en 1905, les toiles de Vlaminck ou Matisse ont pu être jugées comme des pots de peinture jetés à la figure du spectateur, l’exposition catovienne (comme d’autres, hélas !) procède un peu pareillement en ne s’adressant essentiellement qu’au pur plaisir du regard et non à l’esprit soucieux de savoir et de remise en cause. La pédagogie inhérente à toute exposition aurait pu prendre appui sur quelques textes ou astuces de présentation, même s’il faut reconnaître le peu de moyens (humains, financiers, logistiques) des petites institutions muséales. Il faut croire que le but de À la belle époque des fauves soit très basique, juste pour contenter l’oeil et le coeur avec de belles couleurs bien assemblées sur une toile, et parfois même des belles compositions ; après qu’on lui a brillamment explicité le pourquoi et le comment du salon d’automne de 1905, l’esprit peut se reposer sans tenter d’effort trop vain... Qui a dit que le plaisir était dénué de réflexion ?

N-B : les photographies étant interdites dans l’exposition et la majorité des oeuvres présentées provenant de collections privées, il n’a malheureusement pas été possible d’illustrer davantage et avec pertinence cet article.

par Benjamin Couilleaux
Article mis en ligne le 13 septembre 2005 (réédition)
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Informations pratiques :
 artistes : peintres fauves (de Vlaminck, Friesz, Braque, etc)
 dates : du 30 avril au 30 octobre 2005
 lieu : Musée Fournaise Île des Impressionnistes 78400 CHATOU (accès par le RER A, station Chatou-Croissy ou Rueil-Malmaison, ou par le pont de Chatou en voiture)
 horaires : du mercredi au vendredi de 10h à 12 h et de 14h à 18h, samedi, dimanche et jours fériés de 11h à 18h
 tarifs : tarif plein 4 euros /tarif réduit 3 euros / gratuit pour les enfants de moins de 12 ans/ visites guidées : 6 euros (groupes sur réservation, individuels le dimanche à 15h)

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