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Slam Dunk (1)

De la baston au basket.

Hannamichi Sakuragi, jeune force de la nature de quinze ans, se trouve embringué dans le parcours héroïque du club de basket de son lycée qui part à la conquête du titre national. Ce manga de sport, très soigné et passionnant à lire, est truffé d’humour et de situations burlesques qui le rendent très attachant.


Le sport est prétexte au dépassement de ses limites et à l’exhaltation de la volonté de vaincre. L’esprit du Yamato n’est pas mort au Japon, et les mangakas le mettent souvent en scène au travers de mangas sportifs, comme c’est le cas de Captain Tsubasa où la volonté de vaincre est l’élément essentiel pour faire la décision. Ce trait n’est pas poussé à la caricature dans Slam Dunk, toutefois on peut le retrouver dans la détermination des protagonistes à aller au bout d’eux-mêmes pour la victoire.

(JPEG) Le choix du basket se prête bien à la manifestation du nekketsu [1], et donc à la réalisation d’un shônen sportif. Ce sport, même s’il est par essence collectif, accorde une grande place aux individualités qui doivent faire la différence pour donner la victoire à leur équipe. Cette particularité permet à Inoue d’offrir au lecteur des affrontement mémorables, à la fois sur le parquet et en dehors. L’affrontement du dehors devient rapidement prétexte pour les protagonistes à un affrontement intérieur. C’est par la connaissance d’eux-mêmes que les héros parviennent à se dépasser et à franchir les paliers. Cette caractéristique des shônen de sports (voir en particulier Captain Tsuabasa où les défaites des adversaires du héros sont autant d’occasions pour eux de comprendre leurs défaites) est particulièrement bien mise en valeur dans Slam Dunk, et on apprécie en particulier la capacité d’Inoue a mettre cet aspect des shônen sportifs en scène, sans pour autant virer dans quelque chose d’aussi caricatural qu’on peut le voir dans Captain Tsubasa.

Du projet initial

(JPEG) Inoue Takehiko a confié qu’il souhaitait faire un manga de basket, mais que pour vendre son projet à son éditeur, il a dû concevoir un shônen tels qu’ils marchaient alors bien. C’est à dire une histoire qui parle d’adolescents et de leurs problèmes quotidiens. Donc, Inoue a débuté par un shônen, dont les principaux protagonistes étaient accessoirement inscrits au club de basket. La trame principale semble plutôt devoir être l’évolution d’Hannamichi Sakuragi, jeune yankee [2]. A la fois coeur tendre, et redoutable à la bagarre, il a la caractéristique de se faire jeter par toutes les filles. Mais pour sa première année de lycée, il entrevoit la possibilité de gagner le coeur de la timide - et très belle - Haruko par le basket. Jeune soeur du capitaine du lycée Shohoku où vont les protagonistes, elle est passionnée par ce sport, et secrètement amoureuse de la nouvelle star du club, Rukawa. On constate donc que, dans cette trame, le basket est surtout le prétexte à monter des situations burlesques.

Il faut attendre assez longtemps pour que commence le premier match de basket, amical, contre Ryônan, puisque ce n’est qu’au volume 4 que les choses s’enclenchent.

Le manga suit plusieurs péripéties, comme les arrivées dans l’équipe de Miyagi et de Mitsui, deux autres adolescents à problèmes lié à l’équipe de basket. Peu à peu, la passion de Sakuragi pour le basket s’affirme, elle aussi. En particulier lorsqu’il refuse d’entrer au club de judo, où le capitaine cherchait à l’attirer à l’aide de photos d’Haruko !

Comme le manga d’Inoue marchait alors très fort, le basket commence à s’y inviter de manière de plus en prégnante. Alors qu’entre les volumes 1 et 10, seul le match contre Ryônan a été fortement détaillé, à partir du volume 10 l’orientation de Slam Dunk se bouleverse. On ne va plus y voir que du basket, ou presque, et la vie mouvementée des joueurs de l’équipe est alors cantonnée à une portion congrue, comme le passage où l’équipe révise ses examens de rattrapage chez Akagi, le capitaine. (JPEG) Le succès remporté par Slam Dunk permet à Inoue de basculer dans ce qu’il souhaitait faire depuis le début, c’est à dire un shônen sportif.

A partir du volume 10, Slam Dunk devient donc une affaire exclusivement sportive. Le couple Haruko-Sakuragi reste en status quo, de même que le couple Ayako-Miyagi. On comprend certes que, grâce au basket, les adolescents se sont rapprochés. Mais du projet initial, il ne reste plus grand chose. D’un manga qui devait montrer l’évolution d’adolescents lycéens, au travers de leur vie quotidienne, où le basket apporterait l’occasion d’une remis en cause, on passe à un manga de basket. Certes, les adolescents évoluent, mais c’est au travers de ce sport, et non plus simplement à partir de celui-ci.

Le fan de basket

Inoue est passionné de basket, il rappelle d’ailleurs dans ses préfaces qu’il joue lui-même dans une équipe. Parallèlement à son oeuvre actuelle, Vagabond, il a entamé un nouveau manga de basket, Real. Celui-ci est un seinen, moins enjoué que Slam Dunk, qui se déroule dans le milieu handisport. Les droits pour une adaptation française de Real ont été achetés par Kana, et on devrait voir prochainement ce manga débarquer. En effet, une page de publicité montrant un fauteuil roulant et un ballon de basket figure dans le volume 27 de Slam Dunk, dernier en date publié par Kana.

L’équipe favorite d’Inoue est les Chicago Bulls de la grande époque. Elle se retrouve dans les couleurs de Shohoku, l’équipe phare du manga, qui évolue en rouge à domicile et blanc à l’extérieur. De plus, Sakuragi porte des Air Jordan de collection.

L’évolution de Slam Dunk s’est donc faite suivant le goût, l’inspiration et le plaisir d’Inoue. Celui-ci reste d’ailleurs très attaché à cette oeuvre, qui a fait de lui un mangaka de renom. Dans une interview publiée à la fin du volume 16 de l’édition française, Inoue avoue "Pendant que je dessinais Slam Dunk, je pensais plus à moi-même qu’au lecteur". Il envisage de donner une suite à la série, même si "pour l’instant ce n’est pas d’actualité", puisqu’il travaille sur Vagabond et Real.

L’attitude d’Inoue par rapport à l’adaptation de Slam Dunk en animé est d’ailleurs révélatrice de l’attachement qu’il porte à cette série. Il a acheté tous les droits sur son oeuvre, alors que ceux-ci appartiennent habituellement aux éditeurs. Il dit ainsi pouvoir contrôler les adaptations en animés, ou encore le merchandising. En effet, il dit "n’être pas très content" de la série animée, en cours de diffusion en France, sous forme de DVD. Inoue critique les dessins peu soignés, qui "ne ressemblent pas aux originaux", et surtout "les mouvements de basket qui ne sont pas réalistes". Ce dernier point, en particulier, touche les lecteurs de Slam Dunk, car s’il est bien un point fort à cette série, c’est le grand réalisme des phases de basket.

Au point qu’il est possible de réaliser une étude complète du jeu des équipes, à la manière de ce que ferait un journaliste sportif avec de vraies équipes

L’univers lycéen

Au travers de Slam Dunk, comme d’autres mangas de sport, il est possible d’avoir un aperçu de l’importance que peut prendre la pratique du sport en club au sein d’une école. On observe les rookies [3] qui effectuent des tâches de rangement, nettoient le gymnase, etc... en ayant peu de chances d’intégrer l’équipe (seuls Rukawa, et Sakuragi, qui ont un grand talent parviennent à jouer dès leur première année.) Chaque fois qu’un joueur de première année (seconde pour nous) intègre une équipe, c’est suffisemment notoire pour qu’il soit repéré et analysé. le respect dû aux anciens sempai [4] est également manifesté.(JPEG)

Cet univers lycéen est loin d’être rose. En de nombreuses occasions, Inoue s’attarde sur les sacrifices consentis par Akagi et Kogure, les anciens du club, pour parvenir à leur rêve de disputer le titre national. C’est l’occasion de sacrifices et d’investissements qui semblent déments pour le lecteur occidental, mais qui ne sont pas pour autant caractéristiques de Slam Dunk, puisqu’on les retrouve dans d’autres mangas de sport, ou de combat. Cela participe du dépassement de soi, consubstantiel du nekketsu, qui est une composante importante des shônen.

Les rivalités et duels

La confrontation directe est l’un des ressorts principaux du basket. Une équipe qui perd tous ses face à face est condamnée à perdre tôt ou tard, quelque soit sa qualité collective. Lors du match contre Ryônan, la tactique d’isolement qui place Fukuda seul face à Sakuragi, pour profiter de ce que ce dernier soit dominé, l’illustre bien.

Logiquement, Slam Dunk est donc largement une histoire de duels.

Des duels sur le terrain, d’abord, pour savoir qui est le meilleur. On dénombre ainsi les oppositions de Sendô avec Maki et Rukawa, celle d’Akagi avec Uozumi, puis Kawata, celle entre Rukawa et Sawakita, ou encore le duel Sakuragi-Kawata Mikio. Elles sont souvent le moteur des matchs, et la capacité d’un joueur à prendre le dessus est décisive pour l’issue de la rencontre. Mais dans ces duels se jouent aussi les réputations des joueurs : meilleur marqueur, meilleur joueur à tel ou tel poste, meilleur joueur dans l’absolu, etc... (JPEG) Les duels sur le terrain sont doublés des duels hors du terrain, comme celui entre Akagi et Hotta pour avoir Sakuragi au club de basket (même si Akagi ne s’investit pas beaucoup, on le sent très tendu !), celui de Sakuragi contre l’image de Rukawa pour gagner le coeur d’Haruko, etc... Certains de ces duels en dehors du terrain, se font quand même au basket : les un-contre-un de Rukawa avec Mitsui, Sakuragi et Sendô qui sont une affaire de rivalités personnelles liées à la réputation des concernés. Mais les duels les plus intéressants et intenses sont ceux des protagonistes contre leurs propres limites. C’est d’ailleurs ce qui forme le coeur du manga. Le combat de Sakuragi contre son instinct incontrôlé et fougueux, qui est mené pour maîtriser le sport tactique et technique qu’est le basket est l’illustration la plus parfaite de ces duels. Mais chaque personnage a le sien : Miyagi affronte sa petite taille, Mitsui la réputation du joueur qu’il a été, et qu’il ne pense pas pouvoir surpasser, Akagi le pari impossible de conduire Shohoku au sommet et Rukawa le rêve de partir jouer aux Etats-Unis. Ce sont ces rêves et défis qui sont au coeur du manga. La victoire contre l’équipe adverse est moins importante que de franchir un palier pour se rapprocher de ce rêve très individuel. Seul Akagi se révèle avoir un esprit altruiste au sein du cinq majeur de Shohoku.

L’affrontement entre la baston et le basket peut aussi être considéré comme un duel qui structure l’évolution du managa :

Que se soient Sakuragi, Miyagi, Mitsui ou Rukawa, tous sont des durs à cuire, qui ne s’en laissent pas conter dès qu’il s’agit de se frotter aux terminales qui rackettent dans le lycée.

Les premiers volumes, et en particulier ceux qui concernent les arrivées de Miyagi et Mitsui sont émaillés de rixes très violentes. Mais peu à peu, cette violence se canalise et se sublime dans le basket qui canalise les énergies des héros. Cela est particulièrement patent dans l’attitude de Sakuragi que le basket responsabilise. Lorsque l’entraîneur Anzai est frappé par une crise cardiaque, Sakuragi réagit avec à-propos. Cet épisode lui rappelle celui où, plus jeune, il n’avait pu secourir son père car il s’était trouvé pris dans une bagarre.

Le style graphique

Slam Dunk met également en scène l’évolution du style d’Inoue, dont le dessin s’améliore considérablement au fil des volumes. L’auteur confie que c’est le reflet de sa volonté de dessiner toujours mieux. On constate que les décors et les tenues des personnages s’enrichissent sans cesse, ainsi que l’ajout de nombreuses trames. Le contraste entre les derniers volumes et les premiers peut s’avérer saisissant si le manga n’est pas lu dans sa continuité.

(JPEG) Mais le dessin de Slam Dunk ne s’arrête pas à préfigurer la quasi-perfection formelle qu’Inoue atteint dans Vagabond. Il est l’occasion de recensser un certain nombre d’effets qui sont au service de l’histoire. Ainsi, les héros ont de "belles gueules" et peuvent être assimilés à ce que les Japonais appellent des Johnnies. Cette caractérisitque de Slam Dunk a assuré à cette série, pourtant shônen, un certain succès auprès des filles.

Au service des effets comiques, Inoue utilise le style SD (Super deformed) qui lui permet de représenter les sentiments et pulsions des personnages sur le mode du décalage. Le glissement est superbement assuré, et contribue à donner à certaines pages de Slam Dunk un aspect profondément jubilatoire.

Enfin, on mentionnera certaines séquences remarquables, qui s’étallent sur plusieurs pages, sans une parole. Celles-ci portent l’intensité des moments forts des matchs à leur comble. La meilleure illustration de ce genre de séquence est l’ultime panier inscrit par Sendô lors du second match entre Ryônan et Shôhoku. Mais on peut en remarquer d’autres, comme le dunk de Sakuragi contre Maki, par exemple.

L’alterance des dessins très soignés, revendiqués par l’auteur lui-même, et de scènes comiques reflète bien le double visage de Slam Dunk, à la fois tension de l’affrontement pour la victoire dans les duels, et récréation que doit rester le sport.

Tous ces différents paramètres expliquent que Slam Dunk a connu un succès incroyable, avec près de trois millions d’exemplaires de chaque volume vendu, alors que le basket n’est pas un sport populaire au Japon.


Pour en savoir plus :

Kana, le site officiel de l’éditeur, avec un dossier consacré à la série.

Artelio, un article dédié au jeu et aux joueurs, qui vous renseignera sur les différents personnages, et les principales équipes.


par Pierre Raphaël
Article mis en ligne le 1er juin 2004

[1] nekketsu : litt. "sang bouillant", se caractérise par l’amitié, l’effort et le dépassement de soi.

[2] Yankee : nom par lequel sont désignés les jeunes loubards japonais.

[3] Rookie : terme américain qui désigne un joueur qui effectue sa première saison en NBA. Devient par extension un terme pour désigner les jeunes qui ont intégré le club

[4] Sempai : qualificatif que donnent les collégiens et lycéens japonais à leurs camarades aînés, en signe de respect.


 Mangaka : Inoue Takehiko
 Editeur (Japon) : Shueisha
 Editeur (France) : Kana
 Année de publication : 1991, réédité en version deluxe en 2000-2001

 La série compte 31 volumes, dont 27 sont sortis en France.

 Genre : Shônen sportif
 Style : fouillé, évolue beaucoup, parsemé de nombreuses vignettes en SD

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